Contributeurs: Soyyaf, Rudloff, Coline Vanneroy, Bastien Engelbach, Vincent Bonhomme

 français   Dernière modification le: 13/06/16 - Crée le: 26/04/14


Les femmes et le pouvoir dans les associations étudiantes

par Bastien Engelbach
Publié le 26 février 2016
Avec la participation de :
Bastien Engelbach, Coline Vanneroy, Rudloff, Soyyaf, Vincent Bonhomme


Nés à une époque qui a pleinement intégré les droits acquis au fil des luttes du XXe siècle, les étudiant.e.s d’aujourd’hui ont grandi dans une société qui, au moins dans le principe, a consacré l’idée d’égalité entre les hommes et les femmes. Qu’en est-il dans les faits ? L’égalité femme-homme est-elle une réalité dans les associations étudiantes ?

Animafac[1], réseau national d'associations étudiantes, a réalisé un état des lieux de la place des femmes dans les postes à responsabilité des associations étudiantes en s’attardant sur leur parcours, les motivations de leur engagement et en prêtant une attention particulière à leur rapport à la prise de responsabilité.

Une majorité d'hommes occupent les postes à responsabilités

Aborder la question de la place des femmes dans les associations étudiantes et plus particulièrement l’égalité d’accès aux postes à responsabilité conduit d’emblée à soulever un paradoxe. Alors que les associatifs étudiant.e.s reconnaissent tous volontiers le principe d’égalité entre les sexes comme une réalité acquise, des disparités semblables à celles que l’on constate ailleurs se reproduisent pourtant dans leurs structures.

Sur un échantillon de 1 162 associations étudiantes, prenant en compte la composition du bureau pour l’année universitaire 2011-2012, ont été dénombrés 3 093 dirigeants associatifs dont 1 268 président.e.s, 892 trésorier.e.s, 652 vice-président.e.s et 281 membres de bureau sans précisions complémentaires. Parmi eux, 1 788 sont des hommes et 1 305 des femmes, soit respectivement 58 % et 42 %. Ces chiffres varient selon le type de fonction : la présidence est assurée dans 61 % des cas par des hommes, tandis qu’ils sont 57 % à être vice-président.e, 55 % à être trésorier.e et 52 % à être membre du bureau sans précision complémentaire. Des résultats similaires aux précédentes études d’Animafac sur ce sujet.

On observe donc que les associations étudiantes sont majoritairement dirigées par des hommes, une tendance similaire à celle observée parmi les associations en général, même si celle-ci est moins prononcée[2]. Pour mieux cerner les mécanismes conduisant à ces inégalités, 25 entretiens ont été menés auprès de jeunes associatifs (hommes et femmes), qu’ils soient simples bénévoles ou occupant des postes à responsabilité.

Engagement et prise de responsabilité : des variations selon le genre

Si l’on n’observe pas de distinction nette en termes de « motivation à s’engager », la conception même de cet engagement semble varier en fonction du genre. Si le projet de l’association est pour tous le moteur principal, les femmes vont mettre davantage l’accent sur le sens du projet associatif là où les hommes vont être plus soucieux du rôle qu’ils peuvent y jouer. Ce qui place d’emblée une possible différence dans la manière d’appréhender le pouvoir.

Concernant la prise de responsabilité à proprement parler, le secteur d’activité[3] apparaît par ailleurs comme un facteur d’influence sur l’implication des femmes dans des postes de direction. On distingue ainsi des thématiques plus investies par elles dans les postes à responsabilité comme les droits de l’homme (53 %), l’environnement et le développement durable (53 %), la lutte contre les discriminations (54 %) et de façon très marquée la prévention des risques (65 % des postes à responsabilité y sont occupés par des femmes).

Cette étude fait également ressortir que le type d’établissement, école ou université, a une incidence sur la composition des bureaux associatifs, reliant ainsi la situation des associations étudiantes à une problématique plus large, relative à l’orientation selon le genre et à la détermination des choix d’études selon la définition des rôles sociaux ancrée dans notre société.

Enfin, si les femmes ne sont pas nécessairement plus nombreuses à hésiter avant de prendre un poste à responsabilité dans l’association, les motifs qui les amènent à hésiter ne sont pas les mêmes que pour les hommes. Une étude réalisée en 2010 par le cabinet Asdo-Études[4] pour Animafac, intitulé Les Responsables associatifs étudiants et la formation, faisait déjà ressortir que la question des compétences était un motif d’hésitation plus fort chez les femmes avant leur prise de responsabilité quand chez les hommes dominait plutôt la crainte de manquer de temps.

La gouvernance des associations étudiantes : terreau favorable à un meilleur équilibre femme-homme ?

L’inégalité entre les femmes et les hommes n’est pas une préoccupation majeure pour la plupart des associatifs étudiants. La principale raison invoquée est le fait de n’avoir jamais été confronté directement à une discrimination liée au sexe. Les responsables associatifs étudiants interrogés prétendent appartenir à une génération pour laquelle l’idée d’égalité entre les sexes est un fait acquis. Cependant des inégalités persistent, y compris donc dans les associations étudiantes. Pourtant ces dernières, par leur gouvernance, ont les moyens d’évoluer vers une plus grande parité.

Diriger dans une association étudiante signifie d’abord impliquer, faire vivre un projet en permettant aux membres de s’en saisir. Si la grande majorité des associations reste structurée selon le schéma classique d’une assemblée générale qui élit un conseil d’administration au sein duquel est désigné un bureau, les rôles au sein de celles-ci ne sont pas pensés pour être figés et ne sont pas vécus comme tels. Ne pas être membre du bureau n’est pas synonyme de privation d’un droit à l’initiative, chaque membre pouvant apporter ses idées et se voir attribué la responsabilité d’un projet. On est loin d’une vision classique du pouvoir, hiérarchisée, dans laquelle les femmes ne se reconnaîtraient pas et qui tendraient à les éloigner des postes de directions[5].

Ce type d’organisation a pour conséquence que l’un des moteurs essentiel de la prise de responsabilités et de l’accès à des postes dirigeants est la parole. Le pouvoir se prendrait ainsi par les mots. Ce qui peut constituer un frein pour certaines personnes. Autre paradoxe : si le poste de dirigeant n’est pas sacralisé, il nécessite un engagement fort et une certaine omniprésence dans l’association, renvoyant alors à une vision quasi « sacrificielle » de l’engagement. Or, cette injonction à une grande disponibilité pour prétendre diriger (que les associations étudiantes ne remettent pas en cause) peut constituer, au plan individuel, un frein dans l’accès à des responsabilités futures, dès lors qu’apparaissent les obligations familiales encore principalement assumées par les femmes.

Donner une vision claire du fonctionnement de l’association, une définition précise des postes, tout en conservant une souplesse de fonctionnement favorisant le travail collectif, semble favoriser une plus grande égalité dans l’accès aux responsabilités, tout autant bénéfique aux hommes qu’aux femmes.

La difficile sensibilisation à l'égalité femme-homme

Peu d’actions sont menées par les associations étudiantes autour de la question des inégalités femme-homme. S’ils reconnaissent l’existence de certaines inégalités, les associatifs étudiants estiment qu’elles se réduiront d’elles-mêmes, au fil des années, suivant un mouvement naturel.

Toute mesure incitative ou contraignante est donc la plupart du temps rejetée. Pour beaucoup, la parité est une mesure discriminatoire avant tout, et ils ne manifestent pas le souhait d’appliquer ce type de mesure ou tout autre outil de mesure et d’évaluation dans leurs associations. Pour les quelques personnes qui défendent le principe de la parité – sans envisager spontanément de l’appliquer dans leur propre sphère associative – celle-ci doit pouvoir être une mesure transitoire permettant à des figures féminines d’émerger à des postes dont elles seraient encore aujourd’hui largement écartées. Le bénéfice attendu est celui d’une identification possible pour les jeunes femmes afin qu’elles puissent se projeter sur ces positions et ainsi briser les verrous inconscients issus de l’éducation : si d’autres femmes l’ont fait, pourquoi pas elles !

Si les associations étudiantes étaient davantage attentives à ces enjeux, elles pourraient apporter de véritables réponses. Le modèle de gouvernance qu’elles promeuvent, où la notion de leadership est atténuée au profit d’un partage du pouvoir, fournit un terreau favorable à l’égalité.

À condition de prendre conscience des stéréotypes qui continuent de modeler nos comportements, les associations étudiantes peuvent ainsi contribuer à renforcer la confiance de chacun, femme ou homme, en sa capacité à faire et donc à endosser de nouvelles responsabilités. Il s’agit de créer un cercle vertueux : offrir une égalité d’accès au pouvoir, pour permettre l’émergence de figures auxquelles il est possible de s’identifier, et ainsi déconstruire les stéréotypes et lever les freins à la prise de responsabilité.

Références

  1. Animafac
  2. Muriel Tabariés et Viviane Tchernonog (2005) Les femmes dans les associations. La non-mixité des bureaux, reflet de centres d’intérêt différents ou modalité d’accession aux responsabilités pour les femmes ? Recma, 297, 60:81.
  3. Thématiques prises en compte dans cette étude : accueil des étudiants internationaux, animation du campus, culture, droits de l’homme, entrepreneuriat, environnement et développement durable, Europe, insertion professionnelle, lutte contre les discriminations, médias, prévention des risques, représentation des étudiants, sciences et techniques, solidarité internationale, solidarité locale, sports et jeux.
  4. Asdo-Études (2010) Les Responsables associatifs étudiants et la formation, Animafac, p. 11.
  5. Anne Guardiola et Laurence Nobili (2003), L’égalité en pratique dans les associations, Retravailler (pour la DIES), p. 23