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 français   Dernière modification le: 12/06/16 - Crée le: 30/05/16


Biodiversité : la beauté cachée... des laids

par Astribot (d · c · b)

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Contributeurs : Vincent Bonhomme · Éditeur : Vincent Bonhomme (d · c · b)
Création : 30 mai 2016 · Révision : 10 juin 2016 · Rev0 → Revactuel
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La nature est belle ! Sa beauté est notamment liée à sa biodiversité qui n’est pas toujours là où on l’attend.

Vous êtes sur une plage, à l’ombre des palmiers, face à un lagon turquoise. Vous distinguez le récif de corail coloré, le soleil se couche. La scène est magnifique, vous êtes bien. Vous vivez une expérience esthétique. Vous ressentez du plaisir en observant la beauté de la nature.

Nous protégeons ce que nous aimons

L’être humain a tendance à vouloir protéger ce qu'il trouve beau[1]. L’expérience esthétique, inconsciente et immédiate, relève du sensible et de l’émotion[2]. Le bien-être provoqué par cette beauté influence la façon dont nous jugeons notre environnement : vous ne souhaiteriez sans doute pas voir apparaître une digue en béton sur cette magnifique plage.

Les scientifiques n'échappent pas à ce constat : Patricia Fleming et Philip Bateman ont montré qu'en Australie, les animaux généralement considérés comme moches, comme la chauve-souris, font l’objet de moins d’études scientifiques que les espèces plus attrayantes, comme le koala ou le kangourou[3]. Le WWF n’a d’ailleurs pas choisi au hasard le panda comme logo : cet animal apprécié aux quatre coins du monde est devenu le symbole de la protection de la nature. Les belles espèces ou les beaux paysages ont donc plus de chances d’être conservés.

Dans la nature, la beauté c’est la diversité

La beauté peut paraître subjective : le jugement esthétique est individuel et varie en fonction du contexte socio-culturel. On peut cependant identifier de grandes tendances dans les facteurs de préférences esthétiques. Ces phénomènes sont notamment étudiés en psychologie et en neurosciences. Des études ont ainsi montré que les paysages que nous trouvons beaux sont en général les plus riches en diversité biologique et sont “en bonne santé” [4][5][6][7]. Vous aimeriez moins cette plage si elle était recouverte d’algues vertes et si les poissons flottaient à la surface de la mer. En d’autres termes, plus un paysage est riche en biodiversité, plus il est jugé beau, et plus il est susceptible d’être conservé.

Cette relation positive entre esthétique et biodiversité est bien pratique pour les écologues : elle permet d’associer plaisir et protection de la nature. Mais cela ne marche pas à tous les coups.

Que faire de la laideur ?

Les marais sont un bon exemple de divergence entre esthétique et écologie[8]. Ils sont peu fréquentés ou appréciés mais méritent cependant d’être protégés pour leurs fonctions hydrologiques, épuratrices ou écologiques.

Certaines espèces repoussantes jouent aussi un rôle écologique important. Les concombres de mer par exemple, à l'aspect peu attrayant, sont les grands nettoyeurs du lagon : ils se nourrissent de la matière organique en décomposition et limitent ainsi la prolifération des bactéries.

La beauté est fonctionnelle

L’enjeu de l’esthétique écologique est donc de redorer l’image des moches : faire émerger leur beauté par leur fonction. Le cerveau n'aime pas ce qu'il ne peut décrypter ou interpréter. On n'aime que ce que l’on comprend. Comprendre un processus ou le fonctionnement d’un écosystème permet ainsi de mieux l’apprécier [5].

Comprendre que la laideur apparente d’une espèce résulte d’un processus évolutif qui le rend adapté à son environnement permet de le sublimer, de lui redonner un certain charme[8]. Si l’on regarde de plus près notre concombre de mer, on aperçoit une couronne de petits tentacules, admirable lorsqu’on sait qu'il s'agit d'une adaptation évolutive qui lui permet de filtrer des particules.

Un beau paysage, c'est un paysage riche en biodiversité. Gardons à l'esprit que les laids contribuent aussi à la diversité biologique. Apprenons à les aimer, ils sont tout aussi importants que les beaux pour le fonctionnement des écosystèmes. En attendant, les mécanismes précis de la perception visuelle restent encore à être décrits, de même que le rôle joué par chaque élément de la biodiversité dans les préférences esthétiques humaines.

Pour aller plus loin

  1. Gobster, P.H., Nassauer, J.I., Daniel, T.C. & Fry, G. (2007). The shared landscape: what does aesthetics have to do with ecology? Landscape Ecology, 22,959–972.
  2. Kaplan, R. & Kaplan, S. (1989) The experience of nature: A psychological perspective. Cambridge University Press
  3. Fleming P.A. & Bateman P.W. (2016). The good, the bad, and the ugly: which Australian terrestrial mammal species attract most research? Mammal Review
  4. Kalivoda,O., Vojar, J., Skřivanová, Z. & Zahradník, D. (2014). Consensus in landscape preference judgments: the effects of landscape visual aesthetic quality and respondents’ characteristics. Journal of Environmental Management, 137,36–44.
  5. 5,0 et 5,1 Leder, H., Belke, B., Oeberst, A. & Augustin, D. (2004). A model of aesthetic appreciation and aesthetic judgments. British Journal of Psychology, 95, 489–508.
  6. Palmer, J.F. (2004). Using spatial metrics to predict scenic perception in a changing landscape: Dennis, Massachusetts. Landscape and Urban Planning, 69, 201–218.
  7. Haas​, F.A, Guibert, M., Foerschner, A., Co, T., Calhoun, S., George, E., Hatay, M., Dinsdale, E., Sandin, S.A, Smith, J.E., Vermeij, M., Felts, B., Dustan, P., Salamon, P., Rohwer, F. (2015). Can we measure beauty? Computational evaluation of coral reef aesthetics. PeerJ 3:e1390.
  8. 8,0 et 8,1 Parson,G. & Carlson, A. (2008). Functional Beauty. OUP Oxford, Oxford.